Une descente de la SIPO Gestapo Lyonnaise à Lugny-les-Charolles le 08 Mai 1944
Article rédigé en Décembre 2012 - Revu en 2020
Témoignage de ma tante Monique BOUILLON, (né en 1928) qui m'a raconté par le détail les évènements qu'elle a vécu à Lugny-les-Charolles dans la nuit du 7 au 8 Mai 1944, à l'occasion d'une perquisition allemande.
« Des perquisitions, il y en a eu plusieurs durant la guerre entre 1941 et 1944, à la maison de Lugny. Nous étions un hôtel pension de famille dans un village à proximité de la ligne de démarcation et les Allemands avaient détectés que des ondes radios provenaient de Lugny...Mais sans jamais pouvoir les localiser exactement...et sans véritables preuves de notre implication ou de celles de nos clients de passage.
Le processus de ces perquisitions était souvent le même : Maison encerclée par de nombreux soldats pour stopper d'éventuels fuyards, maison et chambres visitées en profondeur, interrogatoires...
Mais nous en étions quitte à chaque fois pour une sacrée peur et montée de stress...Disons que nous avons eu de la chance à chaque fois...Mais que de frayeurs...
Dans la partie chambre d'hôtel (4 pièces), nous avions souvent une ou deux chambres réservées par Lazare BONIN. Lazare était le neveu de Jean-Marie BONIN, tenant le café situé en face de l'Hôtel de La Poste à Charolles, Le café du Siècle.
Il était un membre local du BCRA (Bureau Central de Renseignement et d'Action) qui était pendant la Seconde Guerre mondiale, le service de renseignement et d'actions clandestine de la France Libre du Gal de Gaulle à Londres.
Il travaillait clandestinement en Charolais pour le Centre d'Antenne BOULEAU (ex ELECTRE), réseau de transmission fondé par Jean FLEURY (1901-1985) à Lyon avec Emmanuel d'Astier de la Vigerie, Raymond et Lucie Aubrac. Lazare BONIN avait plusieurs points de chute à Lyon, Beaujeu, Charolles, Lugny ,St-Didier-en-Brionnais, puis Paris et Londres.
Lugny-les-Charolles était un endroit propice pour le réseau Bouleau pour communiquer avec Lyon et Londres à l'aide de postes émetteurs recepteur. C'est ainsi que le village de Lugny avait été choisi pour sa situation appropriée : creux de vallée, proximité de rivière, de bois et de ligne de chemin de fer. La détection d'ondes radio était paraît-il plus compliquée pour les véhicules mouchards allemands qui traquaient l'emission d'onde rado électromagnétiques.
Mes parents, Joseph BOUILLON et Germaine JOUVENAUD ont été choisis par le réseau de renseignements autour de Lazare BONIN et désignés comme cible amie, pour leur sérieux, leur prudence et leur silence. A la maison de Lugny, au Café-Boulangerie BOUILLON de Lugny, nous avons donc eu et hébergé de jeunes gens venus de Lyon en pension et membre des réseaux de résistance et de renseignement plus élargi : la plupart d'entre eux sont sérieux, discrets et prudents.
Chacun d'entre eux restait en principe une petite semaine en pension à Lugny. Ils manipulaient ponctuellement leur émetteur radio dans leur chambre à destination des réseaux de résistance et sans doute à destination de Londres. Puis il remettait l'appareil dans sa cachette.
Bien entendu, ces allez-venues n'étaient pas enregistrées dans le registre des voyageurs de passage dans l'hôtel...
Mais hélas tous les pensionnaires successifs que nous avons eu quelques jours à tour de rôle, ont tous été arrêtés sur dénonciation et infiltration sur Lyon au début de l'année 1944 par la SIPO de Lyon dirigée par Klaus BARBIE.
Nous ne les avons jamais revus.
Leur arrestation par les nazis-allemands ont été opérées lors de leur rendez-vous avec certaines « boites aux lettres » du réseau Bouleau à Lyon. Près d'une dizaine de jeunes ont ainsi été arrêtés, les uns après les autres, et sans doute sont-ils morts sous la torture à la Prison de Montluc à Lyon ou en déportation dans les camps d'extermination.
C'est dans le courant de l'année 1943 que nous avons eu à Lugny un nouveau pensionnaire du réseau plus âgé, venu aussi de Lyon, ex douanier et d'origine savoyarde. Il est descendu plusieurs fois à l'hôtel Bouillon de Lugny afin de s'occuper du poste radio du réseau Bouleau en 1943 et 1944.
Mais cet homme était bavard, indiscret et d'une imprudence folle, ne cachant jamais le dit-poste et le laissant en vue dans sa chambre. Je me souviens d'avoir de nombreuses fois, aidé ma mère Germaine, à transporter et cacher la valise radio dans sa cachette comme il se devait...et comme le faisaient systématiquement les autres jeunes auparavant.
Ce savoyard était négligeant... il parlait à tort et à travers...et à qui voulait l'entendre...Mes parents, mes frères et sœurs et moi, étions très inquiets...et pour cause !...
Par l'intermédiaire de cet homme, nous avons plusieurs fois pensé pouvoir tenter de faire passer de la nourriture (saucissons...) à Lyon où les jeunes du réseau que nous connaissions souffrait de la faim, car celui-ci remontait quelquefois le week-end sur Lyon...tout en nous laissant le poste émetteur...en évidence dans sa chambre...
Evidement nos saucissons ne sont jamais parvenus aux jeunes du réseau.
Un jour, le Mercredi 3 mai 1944, le pensionnaire savoyard du réseau Bouleau demande à mes parents de pouvoir emprunter mon vélo, soi-disant pour se rendre à Mâcon faire une course...
Mais en fait ce fût vraisemblablement pour dénoncer aux allemands de la SIPO de Lyon, (installés depuis le début 1944 sur Mâcon pour démenteler les réseau de résistance locaux du Clunisois et du Charolais) qu'ils pourraient arrêter Lazare BONIN, le coordinateur local du réseau Bouleau lyonnais, avec le poste émetteur en perquisitionnant la nuit du 7 au 8 mai 1944 chez BONIN à Charolles, son oncle et/ou Chez BOUILLON à Lugny-les-Charolles.
Le Jeudi (4 mai 1944), Lazare BONIN nous a rendu visite à la maison très ennuyé en disant que cela "sentait le roussi" : huit jeunes du réseau venaient de tomber et d'être arrêtés à Lyon,...à divers endroits,...tous membres du réseau bouleau lyonnais de renseignement, ...tous sérieux...Il y avait de fort soupçons qu'un traitre ait infiltré le réseau et renseignait la Gestapo de la SIPO de Lyon.
Lazare BONIN décida donc d'anticiper son retour sur Lyon et de partir dès le Vendredi 5 Mai 1944 au matin avec notre pensionnaire imprudent, qui appris donc le jeudi soir l'obligation de retour anticipé...
Ce dernier s'en trouva fort mécontent, prétendant qu'il désirait à toutes fins passer au moins son week-end à la campagne et rentrer le lundi 8 mai 1944 comme prévu...
Mais le vendredi Matin, Lazare BONIN et le fameux savoyard ont quitté la maison de Lugny, emportant le poste de radio et repartant sur Lyon par le train de 6h du matin à la gare de Lugny, situé à 300 m de la maison.
A Lyon, une confrontation eut lieu avec le délateur supposé et une perquisition opérée à son domicile Lyonnais où l'on retrouva l'argent de ses diverses dénonciations.
Ce savoyard avait une femme et une petite fille. Tous trois ont reconnu l'origine de cette argent.
L'homme a supplié ses collègues de l'épargner, ayant femme et enfant sous sa responsabilité...Il lui fut répondu que les membres du réseau qu'il avait donné aux allemands avaient eux aussi une famille...
Et ce sont les gens du réseau Bouleau de Lyon qui ont été chargé d'éliminer discrètement le traitre dans la banlieue Lyonnaise...
Cet homme avait semble-t-il dénoncé plus tôt durant le conflit également des réseaus en Savoie, disant à qui voulait l'entendre dans cette province, que ce dernier n'existait plus et qu'il avait été anéanti par les Allemands.
Plus tard durant la guerre, Lazare BONIN échappera encore de justesse aux Allemands, en sautant par une fenêtre à Beaujeu.
Le vendredi 5 mai 1944, mon frère ainé Henri BOUILLON, âgé de 18 ans, souffrant de violents maux de ventre depuis quelques temps, est ausculté par le Médecin de famille, puis conduit à l'hôpital de Charolles.
Les douleurs s'estompant quelque peu en fin de journée, le médecin de l'hôpital propose de rentrer à Lugny tout en suggérant que si tel était la volonté des parents, il pourrait quand même effectuer une appendicectomie le lendemain Matin du Samedi. C'est cette option qui est finalement choisie et ma mère Germaine JOUVENAUD décide de rester auprès de mon frère à Charolles, le temps de l'hospitalisation.
Je reste donc seule à Lugny avec mon père Joseph BOUILLON pour tenir la Boulangerie et le Café pour les grosses journées du Samedi et Dimanche de notre commerce, aidé en journée, de notre employé boulanger Jean-Marie BERGER et de la femme de ménage, Catherine.
Le dimanche 7 mai 1944 au soir, il reste encore quelques joueurs de cartes, habitués des parties dominicales traditionnelles.
Mais sur le soir, intervient une panne d'électricité qui pousse tout le monde à retourner chez soi.
Mon père me dit de laisser la grande salle de café encombrée, puisque nous n'étions que tous les deux pour faire le travail, et d'attendre le lendemain matin lundi pour ranger.
Nous avons deux clients de passage dans leur chambre. Ceux-ci doivent prendre le train de 6 heures le lendemain matin : une personne de Lyon, Employé SNCF, Monsieur Georges BLANCHARD, venue en campagne pour le ravitaillement en vivre de sa famille et une autre de Lyon aussi, Monsieur Henri ARMINJON, Banquier lyonnais mais aussi propriétaire du château de "Precy" à Anzy-le-Duc, et descendu le Dimanche pour être sur place pour reprendre le train de bonne heure le lundi matin.
Ma petite sœur Jeanine, 14 ans est en pensionnat à l'école de Saint-Laurent-en-Brionnais. Papa et moi, sommes donc seuls à manger ce Dimanche soir et nous allons nous coucher vers 21 heures.
Nous sommes dans notre chambre du 1er étage.
Soudain, à 2 heures du matin, je perçois des sommations et des vociférations gutturales : « Police Allemande, ouvrez ! ».
Mon père se précipite hors de son lit et cours à la fenêtre pour entrouvrir les persiennes métalliques de la fenêtre donnant sur le devant de la maison et le carrefour des routes de Charolles-Marcigny et de Paray-La Clayette.
Un bruit de rafale de mitraillette retentit...et les balles sifflent et claquent dans les persiennes.
J'ai 16 ans, je suis une adolescente et j'ai peur...
Je crie à Papa de fermer et de se cacher.
Mon père s'habille prestement en enfilant un pantalon et part frapper aux portes des chambres des deux clients lyonnais. Pendant ce court laps de temps, les soldats allemands font sauter le volet en bois de la grande fenêtre de la salle de café du rez-de-chaussée, située en dessous de notre chambre. Mais mon père, arrivant au bas des escaliers de pierre, juste en face de la porte d'entrée, ouvre celle-ci, laissant entrer un flot de soldats à l'intérieur de la maison dans le couloir de distribution des pièces de la maison..
« Pourquoi n'avez-vous pas ouvert de suite ? » crie le chef Allemand en français.
- J'ai prévenu mes deux clients avant de descendre, c'est normal non ? », répond mon père, fort logiquement.
Je suis moi-même descendu avec mon père, et j'observe la scène terrifiée. Je n'ai rien oublié, 60 ans après, chaque détail de cette soirée est resté gravé dans ma mémoire.
Une quinzaine de soldats allemands casqués et armés perquisitionnent à l'intérieur de la maison. Une bonne trentaine d'autres sont positionnés en cercle autour de la maison. Ceux-là sont plus jeunes et portent un uniforme bleu marine.
Il y a deux camions stationnés devant la maison, mais nous n'avons rien entendu de leur venue car ils ont sans doute coupé leur moteur au niveau de l'église, 250 m avant notre maison...
Les camions sont vides de soldats mais Madame Marie-Augustine DOUILLON née GODON, veuve et désormais compagne de Jean-Marie BONIN, Cafetier à Charolles, est tenue en garde dans le camion.
C'est M. Jean-Marie BONIN qui a conduit les Allemands jusqu'à notre maison, car ceux-ci ont déclarés ne pas connaître la région, venat de la région lyonaise.
Jean-Marie BONIN a étét descendu du camion et il est à l'intérieur de la maison, dans l'entrée, face contre le mur, tenue en joue par un soldat.
Je suis à côté de lui, tenue en joue également.
Les portes de la maison sont grandes ouvertes, il fait très froid en ce début de mois de mai, au coeur de la nuit.
Je suis en chemise de nuit et une petite robe de chambre...
je gèle et je grelotte de froid et sans doute de terreur aussi...
Dans la grande salle de café - toujours encombrée des jeux de cartes de la veille-, mon père; ainsi que les deux clients, sont installés à des tables différentes et éloignées les unes des autres.
Chacun d'eux est interrogé séparément.
J'entends des cris, des vociférations, des coups de crosses de mitraillettes sur les tables.
Terrifiée, je bondis pour tenter d'aller auprès de mon père...mais je reçois un coup de crosse dans le dos et deux soldats m'intiment un ordre sec de ne pas bouger, et de rester à ma place face au mur.
L'un des clients lyonnais, celui propriétaire à Anzy-le-Duc, Banquier, parle allemand, ce qui semble impressionner les Allemands.
Les interrogatoires se poursuivent et le ton global des echanges redescend un peu.
Les témoignages semblent tous en concordance.
Soudain les bruits d'un combat aérien nous parviennent.
Les Allemands ne paraissent pas à leur aise.
(Nous apprendrons plus tard qu'un avion anglais fût abattu cette nuit-là au-dessus du village de Poisson à moins de 10 kms de Lugny).
Puis vient le moment où je dois échanger ma place avec mon père et c'est à mon tour d'être interrogé dans la salle par le chef allemand, accompagné d'une dame interprète très distinguée et bien habillée.
Mais le chef allemand lui-même parle bien le français.
Il est très impressionnant pour l'adolescente que je suis encore.
En me montrant une photo d'une personne que je reconnais être Lazare BONIN, le chef allemand me demande :
« Connaissez-vous cette personne ?
- Ah oui, ne serait-ce pas le Monsieur qui a un vélo vert ? »
L'abbé Legrand, notre –jeune- curé à Lugny depuis 2 ans, avec lequel nous passions beaucoup de temps à faire du théâtre - pour financer des colis de vivre à envoyer au soldats prisonniers en Allegne de notre village- nous avait toujours conseillé qu'en cas d'interrogatoire, il était plus déstabilisant pour l'interlocuteur, de répondre à une question par une autre question. J'avais gardé cela en mémoire...
(Cet Abbé Legrand arrivé de nulle part trois ans plus tôt, était sans aucun doute aussi membre d'un réseau de résistance en zone occupée qu'il avait sans doute fui précipitamment en 1941. Il avait réussi à se faire nommer à la cure de Lugny, sur la ligne de démarcation, sans doute pour organiser des passages clandestins entre la zone occupée et la zone libre. Ce curé LEGRAND disparut rapidement après la guerre. A partir de quelques courriers échangé avec mon frère Henri nous apprirent que sa véritable identité était ERLE et les recherches menés par mon frère Henri et son fils Patrick dans les années 1980-90 pour retrouver sa trace et son histoire les ont conduit en Lorraine vers le village de Loromondzey où sa famille se demandait toujours 50 ans plus tard ce qu'il était devenu...Nous en avons conclu qu'il avait sans doute décidé de rompre avec son passé de prêtre, et qu'il avait vraisemblablement choisi de vivre une vie de couple...loin de sa famille et de sa région d'origine...)
Mon interrogatoire continue :
« Est-ce qu'il y avait une réunion de terroristes ici hier soir ?
- Non, juste les joueurs de cartes habituels du Dimanche » répond-je
« Votre père n'a pas dit cela ! » me dit l'officier allemand à plusieurs reprises, mais je reprends toujours mes réponses précédentes.
« Depuis combien de temps n'avez-vous pas vu Lazare BONIN ?
- Une dizaine de jours ? » répond-je sans donnez trop de précision.
10 jours...Pourquoi cette réponse, alors que nous avions vu Lazare le Jeudi, 3 jours avant, et encore le Vendredi, l'avant-veille avant son départ pour Lyon....Je ne saurais jamais.
On aurait dit que les réponses m'étaient soufflées...nos réponses avec Papa concordaient...en tous les cas, cela nous as certainement sauvé la vie...
« Y-a-t-Il des parachutages dans la région ? » continue l'officier allemand.
- Non, jamais vu, jamais entendu parler », répondais-je encore, tout en me souvenant avoir écouté à la fenêtre ouverte de notre maison, avec le savoyard, un soir, les bruits d'avion d'un parachutage du coté de St-Julien-de-Civry tout proche.
Cela aussi l'avait-il sans doute aussi dénoncé aux Allemands. Comme les passages du maquis à Lugny pour le ravitaillement...?
Avait-il mentionné que notre famille était au courant ?
Et toujours l'officier allemand de dire :
« Votre père n'a pas dit cela !, vous mentez ! »
Et puis soudain il me dit :
« Vous tremblez !, vous avez peur ! » reprend-t-il de façon péremptoire.
- Non, je n'ai pas peur, j'ai terriblement froid... » répond-je, tout en lui posant mes petites mains glacées sur le dos des siennes...
Il rit alors aux éclats et plaisante en s'adressant à son interprète :
« On l'embarque ? »
- Oh non, ce n'est qu'une gamine » répond la jeune femme interprète.
- « Merci madame, vous me sauvez la vie ! », ai-je pensé en moi-même...
Les heures passent. Toute la maison a été fouillée par une trentaine de soldats allemands. Ils emportent tout ce qu'ils trouvent de comestible à leur goût : saucissons, panier d'œufs, bouteilles de vins, sac de pommes-de-terre etc...
L'officier allemand demande à mon père de lui remettre le tabac disponible ce à quoi mon père répond qu'il n'en a pas puisqu'il n'a pas été livré...alors que le tabac est dans un sac, juste à ses pieds, sous la banque du magasin de boulangerie...
Pourquoi un tel risque lui ai-je souvent dit plus tard
« Mais comment aurais-je fait avec mes clients réguliers, si j'avais donné le tabac aux Allemands »
Et moi, j'étais en admiration devant cette réponse si altruiste...
Cette nuit-là les soldats allemands s'entichent aussi et finalement emportent également un tout petit chien ratier de 2 mois que nous avions à la maison depuis 8 jours.
Il le baptise devant nous « La mascotte de Charolles ».
Le chien finira sans doute à la Kommandantur à Macon ou à peut-être à Lyon ?
Finalement cette nuit-là, les allemands vont repartir vers 4h du matin, après 2 heures passées à la maison de Lugny, et après avoir demandé de leur servir à boire...
A la porte d'entrée, en guise d'adieu, l'officier allemand, nous a regardé et nous a dit :
« Souhaitez que nous n'ayons pas à revenir, pour le cas où vous auriez menti...alors cette prochaine fois, ce serait pour vous le coup fatal ! »
Ce chef Allemand, blond au regard d'acier que je n'ai jamais oublié, je pense l'avoir reconnu, plus de 40 ans plus tard, lors du procès de Klaus BARBIE.
C'était lui, cette nuit, qui était à la tête de ce détachement de la Gestapo de la SIPO de Lyon qui a raflé la Maison BONIN à Charolles et la maison BOUILLON à Lugny.
Je n'en ai aucune preuve, seul le souvenir poignant pour moi de ce regard, posé sur moi, pendant toute la durée de cet interrogatoire, une nuit, entre le 7 et le 8 Mai 1944, à 16 ans...
Mais j'en suis sûr car son regardsur moi alors terrorisée, est gravé en moi.
(NDLR : les travaux de Recherches de Jeanne GUILLOT-VOISIN publié dans son livre "La Saône-et-Loire sous Hitler" confirment bien que les rapport de police mentionnent que ce sont les services de la SIPO-SD (SIcherheit POlizei - Police secrête) et les Miliciens de cette ville de Lyon, qui sont les responsables des violences commises lors de cette nuit à Charolles chez BONIN, et donc à LUGNY.
La SIPO de Lyon était dirigée par Klaus BARBIE. Elle avait reçu les renforts spécialement affectés à une mission, ceux d'un détachement SS pour s'établir localement sur MÂCON au Printemps 1944 pour démanteler les Maquis de l'Ain et du Clunisois et Charolais. C'est d’ailleurs durant cette période d'affectation sur Mâcon que Klaus BARBIE a opéré la douloureuse rafle de la maison des enfants d'Izieu (01) le 6 Avril 1944)
Repartis en direction de Charolles, Jean-Marie BONIN profitera d'un changement de camion, sur la place de l'église, pour s'enfuir à travers les rues des quartiers de Charolles qu'il connaissait parfaitement.
Malheureusement, sa compagne Marie GODON-DOUILLON, restera aux mains des Allemands cette nuit-là.
Elle sera conduite à Mâcon, à Lyon, puis déportée en Allemagne où elle mourra à Ravensbrück.
Dès le lundi matin, ma mère Germaine, restée auprès de mon frère Henri, nous a téléphoné, folle d'angoisse, depuis l'hôpital de Charolles, (car nous étions une des seules maisons à être doté d'un téléphone à Lugny, en tant que cabine téléphonique officielle de Lugny).
Le bruit avait eu tôt fait de se répandre le Lundi Matin du 8 mai dans tout Charolles des évènements intervenus au Café BONIN et à l'arrestation du couple BONIN-DOUILLON et de leur passage au Café BOUILLON à Lugny.
Mais nous étions sauf...
Nous avions eu de la visite pendant la nuit, mais tout allait pour le mieux.
Le Mercredi 10 Mai, deux jours plus tard, un camion d'Allemands est revenu à Charolles dès le début de matinée. Les soldats ont mis à sac le Café BONIN lors d'une seconde perquisition musclée.
M. PIERRECLOS de Charolles, membre de la résistance locale, a alors envoyé M. STREIGER, d'origine alsacienne, pour nous faire prévenir, que les Allemands pillaient le Café BONIN à Charolles, et qu'après ils devaient venir à Lugny, pour bruler le Café BOUILLON...et donc de bien vouloir prendre rapidement nos dispositions...
Mon père a renvoyé chez eux, Jean BERGER, qui travaillait avec lui au fournil, puis Catherine, la femme de ménage.
Puis mes parents et moi, sommes restés à attendre, regardant en direction de la place de l'église de Lugny guettant les allez-venues sur la route de Charolles.
Pourquoi rester ? : n'étant pas réellement membres actifs dans le réseau de transmission clandestin, mais seulement sympathisant hebergeur, sans doute mes parents ont-ils pensé que partir aurait été un aveu de culpabilité, qui aurait précipité la destruction de la maison et aurait fait basculer toute la famille dans la fuite et les menaces de représailles sur d'autres membres de notre famille ?
Et puis mon frère Henri était toujours hospitalisé à Charolles, 4 jours après son opération de l'appendicite.
Et ma petite-sœur Jeanine était toujours en pension à St-Laurent.
Soudain à midi, un camion allemand apparait sur la route de Charolles au loin à moins de 500 m du carrefour et de notre maison...
Quelle angoisse durant quelques longues secondes...
Le camion arrive au niveau de notre maison...
Il ralentit....puis passe tout droit en direction de Marcigny...!
Un nouveau miracle !...
Nous avions tant prié en les guettant...
N'ont-ils pas reconnu les lieux où ils étaient venus 48 heures plus tôt, mais de nuit ?
Parait-il que le détachement de soldats avait beaucoup bu à Charolles le matin, lors du pillage du café Bonin ?
Ont-ils eu du mal à retrouver la maison BOUILLON ?
Ou alors devaient-ils se rendre à la maison DOUILLON à Saint-Didier-en-Brionnais (village situé avant Marcigny) et non la maison BOUILLON de Lugny ?
Ou alors étaient-ils tout simplement à la recherche de Jean-Marie BONIN, évadé pendant la nuit du 7 au 8 Mai ?
Nous ne l'avons jamais su...
Comme nous n'avons jamais su pourquoi cette nuit du 7 au 8 mai 1944, mon père Joseph et moi-même, n'avons pas été emmenés comme le furent Jean-Marie BONIN et Marie DOUILLON ?
Notre résident savoyard imprudent et bavard était le délateur infiltré dans le réseau dont faisait partie Lazare BONIN. Qu'avait-il dit exactement aux Allemands à Mâcon ?
Peut-être que sa résidence chez nous avait-elle crée certains liens d'intimité qui l'ont empêché de nous impliquer en se contentant de dénoncer des observations qu'il aurait fait, tout en résidant chez nous, mais en ne nous impliquant pas...
Sinon comment expliquer que les Allemands aient pu nous laisser tranquille cette nuit-là, s'ils avaient eu des preuves issus de la dénonciation, que mes parents étaient au courant des activités des BONIN et des groupes de renseignements et de résistance du Charolais-Brionnais ?
Snion n'auraient-ils pas simplement raflé toute les personnes présentes... ?
Depuis 1944, chaque nuit du 7 au 8 mai, je revis les évènements de cette année-là. Cette expérience m'a marquée.
Autant pour la rudesse des allemands durant leur intervention chez nous, que pour l'inexplicable concordance des réponses données par mon père et moi lors de nos interrogatoires respectifs et séparés lors du premier passage des allemands...
Et le non moins inexplicable deuxième passage du camion devant notre maison sans s'arrêter..."
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Ma tante Monique BOUILLON-BINACHON est décédée le 26 Janvier 2018 à Meylan (38) dans sa 90ième année. Elle a laissé par testament la totalité de son mobiler à son frère Henri (mais pré-décédé en 2016) pour qu'il soit installé dans la maison familiale ancestrale de Lugny-les-Charoles, là où elle a vécu les plus intenses moments de son enfance.
Ayant récupéré la maison de Lugny dans mon patrimoine après le partage de son vivant de nos parents au profit de ses 3 enfants en 2003, j'y vis depuis 2008 en tant que propréiatire d'une maison d'hôte, et depuis 2018 au milieu de certains meubles de ma tante, installé notamment précisément dans cette ancienne grande salle de café devenu le grand salon de la maison d'hôte, là où, une nuit de 8 Mai en 1944, il y a près de 80 ans, Klaus BARBIE, le "Boucher de Lyon" aurait pu décider en une fraction de seconde, de mettre un terme à l'histoire de notre branche familiale...
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Complément d'Article rédigé en 2020
Henri ARMINJON est né le 24 Juin 1906 à Chambéry (73) et il est décédé à Anzy-le-Duc le 28 Octobre 1997. Banquier, il termine sa carrière en 1966 comme président directeur général de la Société Lyonnaise de Banque. Officier de l'ordre de la Légion d'honneur, commandeur de l'ordre national du Mérite et obtient la croix du combattant. Membre de l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon (1978) et de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Savoie (élu en 1983). Il est l'auteur de Histoire d'une famille de Savoie : les Arminjon (1972), Un Savoyard, marin et diplomate (1983) et De la noblesse des sénateurs au Souverain Sénat de Savoie & des maitres-auditeurs à la Chambre des comptes (1977).
Marié à Thérèse Neyrand, avec qui ils eurent 11 enfants
Le couple a habité le Château du Val des Chênes, à Charbonnières, dans le Rhône (69), et le Château de Précy, à Anzy le Duc, propriété héritée des VERCHERE de Marcigny, en Saône et Loire (71).